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Médium 30

2011, l’année de tous les recommencements

Paul Soriano, 2 mars 2012

Modifié le : 23 octobre 2021

Le XXIe siècle commence en 2011, année fertile en événements décisifs et plus encore en commémorations. Derrière la confusion de moins en moins maîtrisée se dessine pourtant une tendance lourde : bienvenue dans l’ère du recyclage.

 Aucun de nous ne s’imposait

Quand la notation se substitue à la votation, c’est la démocratie qui prend un coup de vieux.
Ou alors une certaine idée de la démocratie, où les partis détiennent le quasi-monopole de la médiation politique, à commencer par celui de la désignation des candidats à l’élection.

L’innovation vient de France cette fois, et d’un parti socialiste d’autant plus exemplaire que tout semble lui sourire, alors que dans le reste de l’Europe les socialistes sont plutôt à la peine. Le PS gouverne la quasi-totalité des régions ainsi que la majorité des collectivités locales, il vient de conquérir le Palais du Luxembourg (septembre 2011) et s’apprêterait si l’on en croit les sondages à prendre l’Élysée, Matignon et le Palais Bourbon dans la foulée. Et c’est ce parti promis aux plus grands succès qui demande modestement, non à ses militants ni même à ses électeurs réguliers, mais aux simples « sympathisants » de désigner son candidat à l’élection présidentielle. Mais quoi de plus naturel que de consulter ses « amis », comme on dit sur Facebook ? Le résultat est ce qu’il est : trois millions d’amis, moins de dix pour cent du corps électoral, peut mieux faire, mais c’est une première, et les médias unanimes saluent la performance tandis que l’adversaire promet de se convertir, le moment venu.

Faisant assaut de modestie, une candidate à la candidature déclare [4] : « Nous avons lancé des primaires parce qu’aucun de nous ne s’imposait, et que nous avions des différences. Si on a peur du débat entre nous, il ne faut pas aller se présenter contre Nicolas Sarkozy parce que ça va être d’un autre niveau. » On s’étonne d’abord ce cette franchise naguère suicidaire et puis on réfléchit : outre qu’elle est dans l’air du temps (transparence, on se dit tout) la déclaration est tactiquement impeccable : on coupe l’herbe sous le pied de l’adversaire qui ne pourra que bêtement répéter ce qu’on a déjà dit soi-même. Moralité : les partis ont de l’avenir, à condition de réviser leur « logiciel ».

A contrario, les discours, interviews, débats, news et autres commentaires que motivent dans les médias la prochaine élection présidentielle font penser à de très vieilles rediffusions. De même que les livres, les pauvres « livres » que s’obstinent à publier les politiques pour nous faire part d’une vision d’un monde ou d’un projet de société…

Mais qu’en est-il alors, en cette fin 2011, de cette démocratie 2.0, ramenée à de plus justes proportions par des lendemains qui déchantent et l’irruption un peu cavalière des experts ?

On renverra sur ce point le lecteur au événements précédents en rappelant simplement les événements intéressants sinon décisifs survenus depuis lors. À commencer par ces rassemblements d’ « indignés » en Europe et jusqu’aux États-Unis où un populisme de gauche (Occupy Wall Street) a provisoirement volé la vedette à un populisme de droite (Tea Parties). On notera que ces mouvements que l’on associe médiologiquement aux réseaux sociaux en ligne empruntent néanmoins leur dénomination commune à la graphosphère, sous la forme d’un petit livre français devenu un bestseller en franchissant les frontières. Un observateur du mouvement Occupy Wall Street nous livre néanmoins une analyse médiologiquement originale [5]. En dépit de son hétérogénéité (un « bric-à-brac de mots d’ordre écologiques et culturels, sociaux et fiscaux »), on peut néanmoins repérer dans ce « mouvement populaire transversal » « une disposition éthique générale, exprimée ici dans le refus des hiérarchies et la critique de la représentation démocratique », disposition qui se repère notamment par « l’absence de micros aux assemblées générales, dont les propos circulent, répétés par tous, comme en un vaste concert de negro spirituals ».

Notons aussi que Occupy Wall Street désigne, non un gouvernement (Occupy The White House), mais bien le site physique que la puissance financière en réseau n’a pas complètement réussi à virtualiser. Et de son côté, Anonymous, un groupe informel d’hacktivists sans frontières, s’en est pris récemment à une organisation non gouvernementale, les cartels de la drogue. Les Anonymes auraient même obtenu la libération d’un de leurs membres séquestré au Mexique sous la menace de révéler les accointances des narcotrafiquants au sein des institutions. Après les gouvernements, les oligarchies n’ont qu’à bien se tenir, face aux peuple connecté.

Quels enseignements suggèrent au total les événements de 2011 ? Tandis qu’en Égypte, de nouvelles manifestations ont conduit le gouvernement à présenter sa démission au… Conseil suprême des forces armées, en Tunisie les élections ont donné la majorité à un parti islamiste et en Libye, les islamistes semblent également devoir être les principaux bénéficiaires de la chute de Khadafi comme ils le seraient sans doute aussi d’un renversement du régime syrien.

Alors, en guise d’avancées démocratiques, la technocratie de salut public pour solder les extravagances de la finance aux dépens des contribuables et des assurés sociaux chez nous, et chez eu la charia ? C’est un peu plus compliqué, comme disent les experts effarouchés par un populisme simpliste et mal informé. Nos propres turpitudes nous privent d’arguments pour sermonner les peuples qui donnent leur suffrage à la religion. Admettons que les gouvernements de techniciens sont justifiés par l’urgence et devront tôt ou tard se refaire une légitimité. Et pour ce qui est de la religion, n’oublions pas qu’en Italie le gouvernement technocrate-chrétien de Mario Monti compte sept personnalités (sur 16 portefeuilles au total) proches des milieux catholiques, sinon du Vatican. C’est peut-être ce qui a incité Benetton, vendeur de fringues et de bons sentiments, à remballer ses projets d’affiches publicitaires pas très catholiques.

Notes

[4Cité par Le Monde, 22 septembre 2011.

[5François Cusset, « Quand le peuple se rebelle », Le Monde, 6 novembre 2011.


Références

Paru dans Médium 30 (janvier-mars 2012).


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