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Le micro-onde et le congélo (1)

Paul Soriano, 1er mai 2011

Modifié le : 19 avril 2018

Soufflant le froid et le chaud, ces deux dispositifs techniques s’inscrivent, culturellement, dans l’interminable guerre des sexes. Si le frigo, autant que la cuisinière, appartient sans discussion au règne féminin, le congélo connecté au micro-ondes en affranchit le mâle. À quel prix ?

Du point de vue pratique, le four à micro-ondes et le congélateur apparaissent comme de simples perfectionnements d’appareils plus anciens, tel le four électrique ou le réfrigérateur. Pourtant l’un et l’autre – l’un et l’autre conjugués – ont permis des innovations économiques, sociales et culturelles considérables, de l’industrie du surgelé à la transformation des pratiques alimentaires et jusqu’à la remise en cause des rapports entre les sexes. Précisons à ce propos que l’on s’en tiendra ici aux deux sexes les plus courants, cela pour la seule clarté du propos et sans rien préjuger des autres options possibles. Masculin et féminin sont ici des « idéal-types » (des concepts sociologiques) polaires et non des modèles privilégiés. Nous invitons du reste le lecteur à raffiner l’analyse dans une perspective GLBT [1] ouverte.

Le magnétron détourné

« Un four à micro-ondes est un appareil électroménager, permettant la cuisson rapide d’aliments destinés à la consommation humaine ou animale. Il est de plus très pratique pour réchauffer des aliments déjà préparés solides ou liquides. Le chauffage s’effectue par agitation des molécules d’eau que contiennent les aliments. » (Wikipédia [2], avril 2011).

Comme tant d’inventions civiles, le four à micro-ondes (ci-après abrégé en micro-ondes) a des origines militaires. A la fin des années 40, un ingénieur américain nommé Percy Le Baron Spencer, de la société Raytheon, travaille au perfectionnement du radar. Constatant que son « magnétron » (une espèce de grosse lampe électronique utilisée dans les radars et vulgairement qualifié de « gamelle ») émet assez de chaleur pour faire fondre une barre de chocolat, il en conçoit le projet d’un usage domestique.

Sans entrer dans les détails techniques disons que le magnétron du four en question émet des micro-ondes à la manière d’un émetteur radio mais à très haute fréquence. Les micro-ondes font « vibrer » les molécules de l’eau qui composent l’essentiel de notre nourriture, produisant de la chaleur qui diffuse dans l’aliment. L’homogénéité de la cuisson est assurée par la réflexion des ondes sur les parois du four et la rotation de l’objet placé sur un plateau tournant.

La petite histoire révèle que le premier aliment qui eut l’honneur de passer au micro-onde fut le pop-corn, suivi d’un œuf dont la coquille ne résista pas à l’expérience. Bon à savoir : les molécules chauffées ont tendance à passer à l’état gazeux et si la vapeur d’eau ainsi produite rencontre un obstacle (la coquille de l’œuf, par exemple) l’aliment « explose ».

Après avoir breveté le procédé, Raytheon mit sur le marché le premier four sous le nom de Radarange, en 1953. D’un poids de 340 kg, il atteignait en hauteur la taille d’un homme. Le tout pour 2 000 dollars de l’époque – un prix exorbitant. Selon une autre source, le premier micro-ondes domestique fut lancé sur le marché américain par la société Tappan en octobre 1955, au prix de 1 300 dollars. Les progrès de l’électronique ayant permis la miniaturisation physique et la réduction concomitante du coût de fabrication, le micro-ondes élargit son marché, des professionnels de la restauration au grand public. Le premier vrai micro-ondes domestique est mis en vente en 1967, alors que bouillonne déjà l’esprit de mai-68 à l’origine de tant d’autres libérations. Il devient un produit d’usage courant aux États-Unis dans le courant des années 1970.

Le très grand froid

Pour actualiser pleinement son potentiel, le chauffage rapide attendait son pendant du côté du grand froid. Ce fut chose faite avec le congélateur.

Les Romains utilisaient déjà la glace pour conserver des aliments, notamment le poisson et les huîtres. Mais c’est seulement vers le milieu du XIXe siècle que l’industrie s’attaque sérieusement à la question en ciblant prioritairement le stockage et le transport, notamment maritime, de produits périssables. Cette histoire américano-centrique des techniques accorde une place à des ingénieurs français : on retiendra ici les noms de Ferdinand Carré et Charles Tellier. Néanmoins, c’est un inventeur américain émigré en Grande-Bretagne, Jacob Perkins, qui breveta dès 1834 un système frigorifique combinant la plupart des éléments qui composent encore nos équipements actuels.

Le premier réfrigérateur électrique est fabriqué à Chicago en 1913. Il
se répand dans les années 1930 mais il faudra encore attendre les années 60, décidément glorieuses, pour que le congélateur, équipe progressivement les ménages. Le congélo, c’est en fait un réfrigérateur plus puissant et mieux isolé, éventuellement intégré au réfrigérateur classique. Dans l’échelle du froid, les gradations repérées par des étoiles vont de -6°C (freezer *) à -18 ou -26°C (congélateur ****). Au-delà de -35°C commence l’empire de la surgélation industrielle.

Picard plébiscité

« De toutes les régions de France, moi mon colon celle que j’préfère, c’est la région de Picardie ! »

Le cabinet OC&C publie des sondage sur les enseignes de distribution préférées des consommateurs. En France, en 2010, the winner is… Picard surgelés. Et pourtant, l’accueil est glacial en Picardie, au sens propre comme au sens figuré. Vous qui entrez… oubliez tout baratin édifiant sur la relation-client : on n’entre ici que pour officier devant les congélos alignés – tu ouvres la malle, tu saisis, tu déposes, tu la fermes et tu files dare-dare remplir le tien après être passé à la caisse. On y repère vite les novices : ceux qui hésitent, choisissent, laissent le couvercle trop longtemps ouvert ou s’appuient dessus, perturbant ainsi le processus logistique de cette chaîne du froid dont les clients (avertis) sont les opérateurs bénévoles.

Picard vient de loin et ce nom presque trop français pour être vrai est pourtant celui d’un personnage réel : c’est en 1906 (sept ans avant le premier réfrigérateur électrique) que Raymond Picard crée « les Glacières de Fontainebleau », une fabrique de pains de glace qui devient « les Établissements Picard » en 1962. A la famille Picard succèdera, en 1973, la famille Decelle qui crée la première implantation à Paris en 1974. Le 100e magasin ouvre en 1987. On en compte plus de 800 aujourd’hui, y compris à l’étranger, ainsi qu’un cybermarché, Picard.fr. Du point de vue capitaliste, hélas, Picard n’est plus français, mais propriété d’un fonds d’investissement britannique. On espère que ses dirigeants auront la sagesse de se tenir éloigné de la cuisine.

La diffusion du congélateur va logiquement entraîner le développement de l’industrie des aliments surgelés qui, rien qu’en France, pèse de nos jours environ 2,5 milliards d’euros.

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Notes

[1Pour mémoire : gays, lesbiennes, bi ’’’et trans.

[2La plupart des informations historiques et techniques qui nourrissent cet article sont empruntées à Wikipédia, édition francophone et surtout anglophone.


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