Inscrite autrefois dans le religieux ou le magique, l’immortalité est aujourd’hui recyclée dans le champ de la technique, encore que la relation du « transhumanisme » à la technologie relève à l’évidence de la foi, ce qui n’est pas pour surprendre quand on sait d’où il vient.
Lorsque la technique prend le relais de l’imaginaire, on n’est pas loin de savoir greffer des ailes à un cheval ou de réparer les corps jusqu’à déjouer leur obsolescence programmée. De quarante Immortels littéraires et français à l’immortalité pour les nuls de tous les pays, le progrès est spectaculaire.
Mais entre les dieux et les robots, les uns et les autres créés à notre image, il reste encore un peu de place pour le monde vivant où l’immortalité est plutôt la règle. Étant entendu que l’immortalité biologique ne vous met pas à l’abri de l’accident ou des prédateurs : veau, vache, cochon, couvée… et Perrette par-dessus le marché, tueuse en série légère et court vêtue.
Les graines, spores et bactéries sont pratiquement immortels. Un arbre peut espérer vivre plusieurs millénaires, individuellement, et bien davantage en se dupliquant (par combinaison de troncs). Côté animaux, ceux qui vivent le plus longtemps (coraux, tartigrade, rat-taupe, tortue, baleine…) ne sont pas très cotés dans l’échelle de nos valeurs, ce qui en dit peut-être long… Les hydres et les langoustes, pour leur part, semble dotées de dispositifs anti-âge, tandis qu’une certaine méduse turritopsis serait apte à inverser le processus de vieillissement. D’autres bestioles encore survivent même aux agressions en se régénérant.
Soyons sérieux : malgré ses prétentions grotesques (« maître et possesseur de la nature »), l’homme est bien incapable de détruire la vie sur terre. Nous aurons beau maltraiter la nature, elle attend patiemment notre disparition pour reprendre ses droits, ad vitam aeternam, après avoir réparé nos dégâts. C’est bien ce qu’on observe dans la région de Tchernobyl : trente ans après la catastrophe nucléaire, le site est en train de devenir une réserve naturelle, d’autant plus vigoureuse que les hommes y sont toujours interdits de séjour.
De manière générale (avec de mystérieuses exceptions) la nature semble récompenser simplicité, frugalité et chasteté, tandis que les sybarites agressifs et sophistiqués se voient infliger le vieillissement et la peine de mort. La reproduction fondée sur la sexualité (et le plaisir associé) réduit l’espérance de vie des individus. Normal : dès lors que leur progéniture est elle-même apte à se reproduire ils peuvent dépérir et disparaître sans dommage pour l’espèce, bien au contraire. Dans certaines espèces, du reste, la femelle tue et dévore le mâle après fécondation – dans la nôtre, hélas, ce serait plutôt le contraire ; mais les enfants (mâles) pratiquent toujours le meurtre du père. Quant à dissocier la reproduction de la volupté, c’est un peu comme vouloir l’argent du beurre sans le beurre.
Chez les humains, la perspective de l’immortalité est donc toujours plus ou moins pathologique, entre maladies génétiques et névroses ; ou bien elle requiert qu’on retire les intéressés de leur environnement naturel (congélation), ce qui offre au moins l’avantage de les empêcher de nuire.
En toute logique, on devrait plutôt se tourner vers la nature pour découvrir les secrets de la longévité. Mais notre monde numérique préfère expulser le vivant et la chair périssable de ses univers virtuels qui ne connaissent que la matière et l’esprit (ou plutôt le calcul). Les corps qu’on y expose (sur écran) sont inodores et sans saveur ; et ni le « digital » ni le « tactile » ne permettent de les toucher ! Au fond, en dépit du porno sur YouTube, le numérique est platement puritain, ce qui n’est pas pour surprendre non plus, sachant d’où il vient.
Ces derniers temps, on semble pourtant s’intéresser à nouveau aux animaux et même aux végétaux, et pas seulement pour leurs vertus nutritives ou ornementales : on (re)découvre leur intelligence naturelle, et même leurs stratégies vitales. Aux élections, la « poussée verte » ne témoigne pas seulement d’une panique chez les bobos, mais d’un intérêt nouveau pour la verdure.