« Et si je me trompe, je sais que vous me corrigerez » (Jean-Paul II)

Visiteurs connectés : 1

Accueil > Chroniques > Symptômes > Le couvre-chef

Objets

Le couvre-chef

Chapeau ! (publié dans Médium 27)

Paul Soriano, 27 avril 2010

Modifié le : 12 juillet 2020

Un couvre-chef peut remplir trois fonctions principales. Pratique : abriter le crâne des intempéries et autres agressions, y compris celle du regard ; esthétique : c’est un ornement, selon les critères d’une culture ou d’une mode ; identitaire : dire, signifier qui est le porteur. Symboles et métaphores multiplient les sens et les effets de cet accessoire qui fait courber l’échine ou plier le genou.

Dans « couvre-chef », chef doit être pris au sens propre (la tête) et au sens figuré : le chef, le maître, et leurs avatars. Objet médiologique par excellence : en général, la fonction pratique semble originelle et les autres en dérivent et s’en écartent au fil du temps, jusqu’à s’en affranchir totalement comme quand le couvre-chef est à l’évidence dépourvu de toute nécessité protectrice.

Le plus souvent, cependant, il remplit deux ou trois fonctions en même temps. Le joli bibi de la bourgeoise assorti au reste de sa vêture, protège ses boucles et la situe dans sa classe.

Le couvre-chef est difficile à discerner de la « coiffure » qui désigne un chapeau ou bien ne manière d’arranger la chevelure : la perruque qui dissimule une calvitie ou magnifie une chevelure modeste en est-elle un ?

La très utile « liste des couvre-chefs par ordre alphabétique » de l’encyclopédie Wikipédia en recense près de deux cent, sans compter les variantes, régionales ou professionnelles (bonnets, coiffes, et autres casques). Quelques fabricants ont eu la bonne fortune de donner leur nom à un chapeau, tel le Stetson vissé sur la tête du Texan, l’Akubra australien, le Gibus et le Borsalino qui est au « feutre » ce que le Stradivarius est au violon.

Certains couvre-chefs (la couronne, l’auréole…) ne couvrent guère : le symbolique s’empare de l’objet et ne laisse rien à la fonction pratique. En principe il ne dissimule pas le visage, avec des exceptions, dont l’inquiétante cagoule, à ne pas confondre avec le rustique passe-montagne. Le fichu, le voile, le keffieh, le hijab, la burqa et le carré Hermès couvrent bien davantage que le chef, a minima les épaules. Certains couvre-tout exhibent dans leurs plis une double fonction paradoxale : montrer et cacher à la fois [1].

La pluralité des fonctions engendre une grande variété. Le genre se différencie en espèces selon divers critères et si chaque espèce a une histoire qui la voit évoluer, chaque exemplaire particulier est de surcroît personnalisé par l’usage, l’usure et les déformations que lui fait subir son porteur. Il s’inscrit ainsi dans une biographie qui finit par l’attacher au visage même du sujet, auquel cette prothèse confère un look, une identité : du bicorne customisé de Napoléon au canotier de Maurice Chevalier.

Variétés

Les critères de différenciation sont matériels, formels, pratiques, culturels et régionaux, professionnels et fonctionnels, sociaux et politiques.

La fabrication requiert toutes sortes de matériaux : métal, végétal, poils et plumes, cuir, laine, tissu, plus rarement le bois. Un « feutre » c’est, par métonymie, un certain chapeau. Le critère matériel oppose au dur le mou, le « melon », rigide et bombé, au « chapeau mou ».

Du couvre-chef, dont on peut dire ce que le sage chinois dit du vase : sa matière réelle est le vide que sa matière apparente ne fait que circonscrire ; jusqu’à l’extravagance dans l’enveloppement (les plis du turban ou du très complexe némès des pharaons). Tous les chapeaux ne sont pas « ronds » comme ceux des Bretons de la chanson, mais déjà le quelconque bonnet tend à se hausser en pointe. A côté du cône, le béret est plat comme une galette. Le cylindre est représenté par le haut-de-forme qui fait gagner un supplément de taille bien plus considérable que les talons et talonnettes – les échasses font mieux, au prix d’acrobaties peu compatibles avec la dignité recherchée. Saluons Monsieur Gibus, génial inventeur du chapeau-claque, un haut-de-forme que l’on peut aplatir à l’aide de ressorts pour le glisser sous le bras. Horizontalement, enfin, le sombrero atteint les dimensions d’un parasol. Le même couvre-chef, selon qu’il est porté haut sur le crâne, enfoncé ou penché produit toutes sortes d’effets expressifs, du ridicule au terrifiant en passant par le désinvolte.

Dans l’ordre climatique, on opposera le canotier printanier ou l’estival panama à l’hivernale chapka (chapeau en russe) qui devient ouchanka lorsqu’elle s’adjoint deux rabats destinés à protéger les oreilles – rien de plus désinvolte, pourtant, qu’une ouchanka dont les pans dénoués s’ébattent librement.

Le casque ? Observons simplement ici deux lignes d’évolution historique. D’une part il s’est démocratisé, équipant la troupe, tandis que les officiers éloignés du feu, pouvaient s’en passer au profit de couvre-chefs plus légers (less is more), tel le képi ou la simple casquette. Certaines troupes d’élite en font l’économie pour mieux exposer leur bravoure et leur mobilité. Efficacité oblige, la fonction protectrice l’emporte au fil du temps sur l’esthétique et la représentation. Il reste que le casque le plus achevé reste celui que porte le condottiere Bartolomeo Colleoni (statue équestre de Verrochio à Venise) : à la fois fonctionnel (un peu lourd peut-être…) et redoutable.

Bien des couvre-chefs sont régionalement spécifiés, à l’image du béret basque dont les spécialistes soutiennent qu’il est béarnais. La colonisation puis l’immigration nous ont fait découvrir, si l’on peut dire, toutes sortes de couvre-chefs à nos yeux exotiques : chechia, turban… Sans oublier, côté européen, le casque colonial, élégant et robuste mais désormais mal porté.

Livré à la diversité des cultures dans l’espace et dans le temps, soumis à la mode, cet accessoire éloquent ne saurait être enfermé dans des catégories stables. Chapeau bourgeois, casquette populaire méprisée par les gros bonnets ? À moins qu’elle n’affiche et dissimule en même temps le visage et les (mauvaises) intentions du voyou ? Trans-classes, la casquette (tweed, mérinos ou cachemire) est volontiers portée par le gentleman farmer : ce petit casque mou couvre et orne aussi bien le chef du militaire (variante en dur : le képi) que celui du militant. Sa visière ne fait pas qu’abriter les yeux du soleil : relevée, elle suggère la franchise ; rabaissée, elle dissimule les yeux et les plus noirs desseins ; son retournement à 180 degrés (la visière devenant couvre-nuque) appelle visiblement à renverser l’ordre social. Plus fort : la casquette avec visière et couvre-nuque de Sherlock Holmes (gardien de l’ordre victorien ?) désamorce le retournement.

Alors que le bonnet doctoral coiffe les clercs laïques (gare au bonnet d’âne !) et que le calot couvre plutôt un crâne de militaire, la calotte est affectée d’une forte connotation religieuse et cléricale (la calotte rouge des cardinaux) – d’où le péjoratif « A bas la calotte ». Elle donne d’ailleurs son nom à un journal anticlérical qui, dans les années trente, ne faisait pas dans la dentelle. Proche de la calotte, si l’on ose dire : la kippa dont le rapprochement morphologique avec le prépuce relève sans doute, à moins que la psychanalyse ait là encore son mot à dire, de la plaisanterie grivoise, voire antisémite.

La différenciation sexuelle est forte mais variable : il est des lieux et des époques (la nôtre) où les couvre-chefs masculins sont plus sobres et d’autres où c’est le contraire. Le fait que le terme pourtant générique de couvre-chef ne s’applique qu’aux exemplaires masculins (la crête du coq ?) trahit nos préjugés – les optimistes des deux sexes diront que le terme est bien trop trivial pour désigner cet ouvrage d’art qu’est bien souvent un chapeau de dame. A l’encontre d’un féminisme ombrageux, rappelons que si les messieurs se découvrent devant les dames, au risque de dévoiler une calvitie, celles-ci ne rendent pas la politesse. A l’église encore, les messieurs se découvrent et les dames font l’inverse. Il est vrai que ces discriminations sont de moins en moins observées.

Car il est des époques avec et des époques sans : les dernières décennie du XXe siècle était plutôt « sans », au moins pour les mâles – et, dans ce cas, en porter un contre l’usage émet sans doute un message fort ; mais lequel ? En regardant un film « noir » américain des années trente ou quarante, on est surpris d’en voir autant, peu différenciés à nos yeux dans la fumée des cigarettes, couvrant le chef du détective comme celui du gangster et du quidam. Mais on observe depuis quelques années un certain regain ; et l’on s’étonne que le marketing et la publicité ne fassent pas plus d’efforts pour nous prendre la tête, d’autant que le cheveu se porte assez court ces temps-ci.

C’est donc dans le registre du pouvoir qu’on a le plus de chance de rencontrer la spécificité du couvre-chef.

Couronner le chef

La couronne couvre… un riche référentiel régalien, de la simple couronne de fer des rois lombards à l’imposante tiare papale. Coupole lourdement chargée, celle-ci ne comporte pas moins de trois couronnes superposées symbolisant, dit-on, l’évêque de Rome, le souverain et l’éducateur ou le juge (infaillible). Fermée, elle est souvent surmontée par un globe et une croix. La totale… À croire que le pape n’est pas un saint, lequel se contente d’une auréole, purement lumineuse et numineuse (à nouveau : less is more).

De nombreux couvre-chefs délivrent un message politique. Droite ou gauche ? Difficile à dire… Le keffieh est devenu le symbole de la résistance palestinienne. La République modérée se coiffe d’un bonnet « phrygien » tandis que les sans-culottes préfèrent le bonnet rouge. Au béret vert (ou rouge) du parachutiste putschiste ou à celui du milicien répond celui du berger, du poète et de l’abbé Pierre. La cagoule, qui couvre le visage en même temps que le chef, a donné son nom à un mouvement d’extrême droite dans les années trente ; en concurrence avec la capuche (ou le capuchon) elle est portée de nos jours par de jeunes militants des gauches radicales pour déjouer les caméras policières.

Un décret (juin 2009) punit d’une amende maximale de 1 500 euros « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public »… tout en prévoyant pour les « manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime » des exceptions qui devraient stimuler l’imagination des avocats [2].

La distinction politique recoupe imparfaitement les classes sociales (la casquette de Lénine et celle de Krasucki), mais laisse une large place aux initiatives individuelles. Le chapeau (mou) de Mitterrand est plutôt « style artiste », Chirac et Sarkozy, Hollande et Macron, vont nu-tête, en général et en particuliers.

La personnalisation du pouvoir (à l’ère des leaders charismatiques) est annoncée par le traitement que Bonaparte fit subir au bicorne en le portant « en bataille », c’est-à-dire de travers ou parallèle aux épaules, tandis que les officiers le portaient généralement « en colonne », dans le sens de la marche. Ce n’est plus la fonction, c’est l’homme, cet homme-là, qui s’identifie. Dans la même perspective (comme David en témoigne en peinture), le même se couronne lui-même à Notre-Dame avant d’un déposer une autre (couronne) sur l’adorable chef de Joséphine. Deux interprétations : soit que l’empereur ne tient son pouvoir que de lui-même, soit qu’il renonce humblement à le recevoir de Dieu, par l’intercession du pape ; mais la seconde interprétation est démentie par le fait que, récidivant avec la couronne de fer qui le fait roi d’Italie (26 mai 1805), il prononce la formule du couronnement des rois lombards : « Dieu me la donne, gare à qui la touche »… Sur la toile de David, le pape ne porte pour sa part ni tiare ni mitre épiscopale (grand bonnet à deux cornes, antérieure et postérieure), mais une simple calotte cléricale : c’est peut-être sa façon de bouder, à moins qu’il refuse de porter le chapeau dans cette mascarade…

La tête près du bonnet

Le couvre-chef nourrit de nombreuses figures de style, des plus banales aux plus énigmatiques. La plupart sont suggérées par la proximité physique avec la tête, le crâne – comme par hasard, ces deux mots portent un accent en forme de chapeau – et donc du cerveau (l’esprit). On en rencontre aussi dans les registres du respect et de la responsabilité. A cet égard, c’est le chapeau et plus encore l’inattendu bonnet qui produisent le plus de sens figurés.

Porter le chapeau, c’est être tenu à tort pour responsable afin de… couvrir le chef  ! Pour saluer un exploit on dit « Chapeau bas ! », « Je vous tire mon chapeau » ou plus simplement : « Chapeau ! ». Plus réservé, « opiner du bonnet » c’est seulement approuver tandis que, par excès, « avoir toujours la main au bonnet » trahit la flagornerie. Travailler du chapeau, c’est travailler des méninges mais d’une manière (ou avec des résultats) qui font douter de l’intégrité mentale du sujet – ce qui arrive à force de « parler à son bonnet » (parler tout seul) et de « prendre une chose sous son bonnet » (inventer). Manger son chapeau, c’est reconnaître que l’on s’est trompé, se déjuger (probable traduction littérale de l’anglais to eat one’s hat) [3].

Enfin, le chapô désigne un petit texte de quelques lignes qui résume un article et permet au lecteur paresseux de feindre de l’avoir lu (on en trouvera un en tête de celui-ci, au cas où…).

Mais de tous les couvre-chefs, c’est le bonnet qui inspire le plus d’expressions et locutions imagées. Cette « coiffure (d’homme) sans rebords » est pourtant bien modeste et même peu engageante (« triste comme un bonnet de nuit ») sauf si elle est rehaussée (bonnet à poil) comme chez les grenadiers d’Empire. A contrario, le bonnet de police est la coiffure des militaires « en petite tenue ».

La crise financière aurait pu redonner vie au bonnet vert des faillis et autres banqueroutiers [4] : hélas, de nos jours les financiers refusent de le porter. Avoir la tête près du bonnet c’est se montrer irritable, mais c’est aussi être près de ses sous, probablement dissimulés dedans. Pourquoi de l’argent dans un bonnet ? Tendu au passant, il remplit deux fonctions distinctes : réceptacle pour l’aumône et signe d’humilité, sinon d’humiliation. Une fois bien rempli, il peut rejoindre la tête, symbolisant cette fois la proximité du pouvoir et de l’argent.

Deux, trois têtes dans un bonnet, c’est une opinion partagée [5]. A rapprocher de « bonnet blanc et blanc bonnet ». Jeter son bonnet, c’est s’avouer vaincu par une difficulté. Plus pittoresque, « Jeter son bonnet par-dessus les moulins », expression courante dans les vieux contes signifie que le conteur ne sait comment achever le récit – à moins qu’il s’en tire ainsi piteusement : « ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».
On aura observé que le plupart de ces expressions sont désuètes, ce qui confirme l’obsolescence (provisoire) du couvre-chef. Une espèce, toutefois, illustre une variante de l’effet jogging, l’effet casquette : naguère ringard, cet accessoire fait la course en tête du hat-parade, importé d’Amérique par le cinéma et la télévision. Rare exemple d’un couvre-chef à vocation universelle, tous âges, tous sexes et toutes conditions confondus, par-delà le bien (good boy, visière en avant) et le mal (bad boy, visière retournée) ?

Notes

[1À rapprocher du sceau du secret qui l’occulte et le met en évidence.

[2A défaut, nous les autorisons à citer librement cet article à condition de mentionner la source.

[3Chez Dickens (The Pickwick Papers, 1837) on avale de surcroît la boucle : « If I knew as little of life as that, I’d eat my hat and swallow the buckle whole » (Si j’en savais aussi peu sur la vie, je mangerais mon chapeau et la boucle avec).

[4« Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressources, Prêts à porter le bonnet vert ». (La Fontaine, Fables, « La Chauve-souris, le Buisson et le Canard »).

[5« Voilà trois belles et bonnes têtes dans un bonnet, la vôtre, celle de l’empereur des Romains et celle du roi de Prusse » écrit Voltaire à Catherine II (Correspondance).


Références

Tiré d’un article paru dans la revue Médium, n° 27.


Envoyer un message à l'auteur : Contact