« Et si je me trompe, je sais que vous me corrigerez » (Jean-Paul II)

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Figures

Monsieur H.

Politique fiction

Paul Soriano

10 février 2018, modifié le 29 juin 2024

Se non è vero è ben trovato. Cette petite fantaisie de politique-fiction est tellement vraisemblable et son héros tellement français… Un président pourrait dire ça.

« Ce qui est toujours amusant dans la politique, c’est de reconstruire, on fait des scénarios » (Monsieur H.).

Lorsqu’il sut le résultat de la « primaire de la droite et du centre », Monsieur H. ne put réprimer un élan de joie maligne. Bingo ! Comme prévu (par lui seul), la droite venait de désigner son pire candidat, eu égard à ses vulnérabilités, pourtant connues de tout Landerneau. Dans la logique démente de ces primaires – qui l’avaient pourtant propulsé, lui, vers l’Élysée cinq ans auparavant.

« Comme si les primaires avaient été taillées pour moi seul, comme la Constitution pour de Gaulle ! » Le principal obstacle à son dessein éliminé par les siens, il se saisit aussitôt en jubilant de sa petite liste, précisément intitulée Éliminatoires, pour rayer d’un seul trait le nom du vainqueur et celui du vaincu. Avant de se raviser. « Rien n’est joué. Par les temps qui courent, un coup d’avance ne suffit pas, il en faut deux, et j’en cogite au moins trois. »

Et c’est ainsi que quelques jours plus tard, il annonça sobrement aux Français sa renonciation et tut soigneusement son projet : désigner au peuple, tel Richelieu au souverain de l’époque, son propre successeur, son Mazarin, sa Mazarine – petite blague, en allusion à un autre enfant caché. « À ceci près que j’aurais affronté et détruit à sa place la Fronde et les frondeurs. »

L’histoire qui se répète, la deuxième fois en forme de farce ? Leur faire une farce n’était pas pour lui déplaire…

Ah ! Emmanuel , Dieu-est-avec-nous ! Coqueluche de tout ce qui compte désormais, sans compter les politiciens en déshérence qui se précipitent pour « servir ». Homme providentiel de synthèse. « La coqueluche est décidément la maladie infantile du modernisme », osa-t-il. Et lisant ce matin dans la presse : « La Bourse sous le charme d’Emmanuel M. », l’incorrigible ne put résister : « la politique de la France à la corbeille de mariée ».

Et en cas d’échec ? Jouer encore qui perd gagne ! Car cette succession, quelle que soit son issue, masque encore le grand dessein : rien moins qu’une refondation. Deux Français sur trois, et pour de bon cette fois, ce n’est plus une farce.

Moins de deux mois plus tard, la gauche la plus perspicace de l’univers rivalisait avec la droite la plus bête du monde en faisant un triomphe à un apparatchik intégral, à l’ère du « rejet des partis ».

Pour sa part, mon poulain… ton poney, corrigea gracieusement une ancienne favorite à demi-initiée, à quoi il répliqua : « Eh bien soit ! Mon royaume pour un poney ! ». Toujours est-il que le favori, lui, avait sauté le piège, rejoignant la cohorte transcourants des anti-système intégrés. A défaut d’altitude, au-dessus des partis, on se contentera de louvoyer entre les ruines.

« Et merci pour ces moments » conclut-il, malicieux.

Renoncer à la présidentielle soit, mais à la politique ? Ça jamais ! Ou alors sur un coup d’éclat, un chef-d’œuvre. La tentation de Tulle, très peu pour moi, je l’aime trop, la politique, et vous conviendrez que j’y excelle autant que mon inspirateur [sans doute François M., NDLR].

Et ce faisant, retrouver ma stature, en effet. Richelieu, peut-être pas tout à fait encore, on y travaille, mais Machiavel, assurément ! Et tant qu’à faire, abattre la Fronde et tirer juste vengeance des frondeurs… Je te leur ferai ravaler leurs mazarinades !

En attendant, jouissons de la hauteur où nous élève le renoncement.
Dissimulons, brouillons les pistes. Et chinoisons : la plus belle victoire est celle que l’on remporte sans livrer bataille, cédant à l’adversaire le soin de se porter le coup qui va l’abattre. Et déléguons. La politique est un art de sous-traitance (Emmanuel préfère outsourcing). Laissons enfin les autres, amis, ennemis, médias, juges désormais, et à la fin le peuple souverain, faire le job.

L’habileté suprême serait de ne pas même informer du rôle qu’on lui destine le successeur présumé. Le maître d’œuvre, sera d’autant moins entravé, d’autant plus appliqué, qu’il se croira autonome. Avec juste ce qu’il faut de soupçon chez les plus perspicaces (qui ne le sont guère) pour les exaspérer. Suggérer toutefois à Emmanuel de tempérer ses protestations : à force de prendre ses distances avec moi, il nourrit la suspicion et ses adversaires discernent déjà les ficelles. L’un d’eux a lancé tout à l’heure : « M. c’est encore H., pour la bonne raison que H. c’était déjà M. » Sans blague ?

Sinon, ça va presque trop bien. J’ai craint un moment que des juges trop zélés écartent deux des trois principaux candidats. Et Jean-Luc M. risque d’effaroucher le Conseil constitutionnel s’il continue de se dédoubler avec ses hologrammes, rigola-t-il. Le mien est autrement perfectionné.

Et c’est ainsi qu’il se fit rare dans la campagne, sinon pour quelques rappels de grands principes, du haut de son trône mieux assuré. Ou pour mettre en garde contre les gars de la Marine : sa victoire étant exclue, on devra convenir que mes avertissements ont été entendus. Ce qui ne l’est pas (exclu), c’est qu’à la fin je prenne position contre Emmanuel, si cela peut le booster.

Transformer une défaite certaine en probable victoire – que dis-je, en dessein accompli, il fallait le faire ! Et même en cas d’échec, garantir encore l’essentiel : rien moins que sauver la (Cinquième) République, ayant détruit le carcan des partis obsolètes, achevé des institutions qui, comme le révèle enfin cette campagne, ont fait plus que leur temps. Foin de rustines, il faut réécrire enfin le logiciel de la France 5.0.

Si j’ai contribué à cette confusion ? Inutile de feindre, je l’ai organisée ! Moi et le chaos, la réforme par la chienlit : les accouchements politiques ne se font pas sans douleurs.

Ce que fit Richelieu pour inscrire la France encore féodale et frondeuse dans l’Europe des nations, après les guerres de religion, il m’est donné de le faire pour que la France s’inscrive enfin dans l’Europe et le monde d’après les guerres idéologiques, où je ne doute pas que son génie propre s’exprimera… Se distinguer, certes, mais en avant, en marche, et pas en arrière toute…

Un peu étourdi par cette envolée qui n’était pas trop son genre (l’influence de Madame H., sans doute), il revint sur terre. Et sinon « deux Français sur trois », comme disait l’autre, au moins 60/40 comme le prévoient à ce jour les sondages. Conforter les extrêmes, peut-être, mais pour mieux les installer dans une minorité durable, voire définitive. Faire de ce scandale, « elle » au deuxième tour, contre « lui », la condition d’une victoire certaine.

Si M. l’emporte, on discernera le rôle que j’ai joué dans l’affaire. Comptons sur ceux qui n’ont rien vu rien entendu rien compris pour en rajouter dans la clairvoyance rétrospective… Ces mystères les dépassent, je serai suspect de les avoir organisés.
S’il se montre à la hauteur de sa tâche, on comprendra que le dauphin, débarrassé par mes soins des obstacles qui m’ont fait échouer, a pu enfin mettre en œuvre ma politique et transformer l’essai. Et s’il ne l’emporte pas, la recomposition suivra son cours autrement… Rendez-vous en 2022, peut-être avant. Laisser du temps au temps, comme disait notre maître.


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