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Technocrates

Ceci n’est pas Emmanuel

Portrait officiel

Paul Soriano, 9 juillet 2021

Modifié le : 2 août 2021

Que reste-t-il de l’autoportrait officiel ? Si vous êtes sensible aux symboles, vous y verrez un héros contemporain du roman national. Si vous ne l’êtes pas, un selfie sur décor un peu kitsch. Et si vous êtres gilet jaune ? Un décrochage ?

On l’a beaucoup commenté, ce portrait, mais l’œil du médiologue fait la différence. La parole, l’écrit, la vidéo et le numérique, pas moins de quatre « médiasphères » sur un unique médium : salut l’artiste, c’est beau, beau comme la rencontre fortuite, sur un bureau élyséen, d’un smartphone et d’un encrier.

Une image photographique exposée aux caméras de la vidéosphère, première servie. Mais cette photo, c’est du cinéma parlant, ce collage éloquent est un hypertexte.

Encadrés dans un fenêtre ouverte à deux battants, des arbres au naturel ménagent une ouverture, où certains disciples exaltés ont cru deviner le retrait de la Mer Rouge devant Moïse (vers 3 000 avec J.-C. ?). Atterrissons : ce qui est sûr, c’est qu’on est bien dedans-ouvert, sans mur ni cloison. En posant dans le jardin, Hollande et Chirac suggéraient qu’ils n’avaient rien à faire dans le saint des saints.

Toujours de part et d’autre, les deux étendards. Le drapeau français est de 1830, mais chacune des trois couleurs évoque, entre autre, les racines chrétiennes : saint Martin (le bleu), saint Denis (le rouge) et saint Michel (le blanc) ? Ou bien encore la Vierge (le bleu) et saint Jean (le rouge) ? Le drapeau européen n’est pas mécréant non plus, puisqu’il rappelle l’étendard de Notre Dame et fut adopté le 8 décembre 1955, jour de fête de l’Immaculée Conception. Bruxelles vaut bien une messe.

Le bureau ? La faute eût été de s’y asseoir, tel un commis d’État, un bureaucrate. Non, on s’y appuie, et bras droit et bras gauche, répliquant la fenêtre, les arbres et les drapeaux. Un bureau fermement saisi des deux mains : pas question que le médium administratif s’émancipe.
Pour citer sobrement l’ère numérique, deux iPhones (2007), pas loin d’une pendule clairement analogique. 8h20 ou 20h20 ? AM ou PM ? Les deux, bien sûr, et le jour et la nuit.

Graphosphère : sans surprise, des livres. Le Rouge et le Noir (leitmotiv, décidément), 1831, l’ambition provinciale entre deux âges et l’amour d’un jeune homme pour une dame un peu plus âgée : facile ! Les Nourritures terrestres (1897) ou la sensualité du puritain qui se dévergonde. Les Mémoires de guerre du général de Gaulle (1954-1959), un livre d’histoire où s’inscrire après avoir tourné la page. Contrairement à Mitterrand, Pompidou, de Gaulle ou même Sarkozy, on ne se laisse pas pour autant enfermer dans la graphosphère (la bibliothèque).

Le personnage enfin. Il sourit à demi, optimiste mais sérieux, le costard-cravate austère. Le teint, un peu cireux, évoque fâcheusement le musée Grévin et l’attitude figée, la pose (ça ne marche pas) ; mais plutôt qu’un improbable loupé de mise en scène, lisons la prise de distance, le clin d’œil pour désamorcer les caricatures ; car il y a de l’ironie sur ce visage, comme il y a du « second degré » dans cette débauche de symboles guettée par le kitsch.

Télescopage anachronique des styles ? Que nenni, beau sire ! Vivre au présent, ce n’est pas vivre dans l’actualité qui vous convoque, tel un Sarkozy ; c’est au contraire convoquer soi-même tous les temps pour les rendre présents à sa guise, souverainement. Il faut être relativement moderne, être d’époques, au pluriel. Ce jeune leader entreprenant tourné vers l’avenir récapitule toutes les figures temporelles du chef : le futur, assurément, mais aussi le passé, les pères suggérés ; et même l’éternité du roman national jamais achevé. Et néanmoins, le présent des maîtres de l’époque : un banquier président ? Mais c’est un plus ! Il les connaît bien, il ne va pas s’en laisser compter ; alors que son prédécesseur, « ennemi de la finance », commit une erreur de calcul : je n’aurai pas ma place chez les puissants dont je ne parle même pas la langue. Au demeurant, un séjour chez Rothschild rappelle Pompidou, plutôt bien coté dans la mémoire des Français. Tout bénef.

On a rapproché ce portrait officiel de celui d’Obama. Voyez plutôt les différences : l’Américain, plus cool, montre les dents, pas loin de se marrer. L’un plutôt théâtre, l’autre plutôt cinéma, voire télé-réalité. Bref : une américan touch, pour tenir compte des rapports de force, sur ce qui reste malgré tout un portrait bien de chez nous.

A des années-lumière ? Du reste, la photographe s’appelle Soazig de la Moissonnière, qui suggère et la vieille France et Star Trek. Ça commençait très fort. Trop ? Gageons que si c’était à refaire, on en rabattrait : un petit selfie sur le rond-point (des Champs-Élysées) avec la cravate de traviole pour faire plus naturel ? Un président normal, en somme. On tourne en rond : c’est le propre de toute révolution, « mouvement en courbe fermée dont le point de retour coïncide avec le point de départ. »


Références

Billet paru dans Marianne (15/11/19).


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