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Trois cents « écrivains nationaux »

Paul Soriano, 9 août 2020

Modifié le : 9 août 2020

Produits et agents d’un caractère forgé par une politique constante, nos écrivains nationaux ont les idées courtes mais fortes. Et du panache.

En France, les institutions font milieu. La culture via la langue et l’éducation, les œuvres et la manière dont elles sont reçues et reconnues, les comportements même, en sont tout imprégnés. La France, comme toute nation souveraine, forme un sujet collectif ou « moral » sur la scène internationale : elle parle, elle décide, elle refuse, elle fait la guerre ou la paix. Au fil du temps, ce sujet s’est forgé un caractère, dont les traits se dessinent en particulier dans l’œuvre et la biographie intriquées de nombreux écrivains.

Mais pourquoi l’écrivain, plutôt que d’autres artistes et créateurs ?

D’abord parce son matériau, le français, lui offre des ressources mais aussi des contraintes, y compris l’impossibilité d’exprimer ce qui n’est pas français, autrement dit : pas clair. Des notions communes en anglais ou en allemand ne sont pas traduisibles ? Qu’importe, pourvu que le français le soit universellement, du moins pour l’essentiel. Car pour le futile, c’est différent, mieux vaut dire ces choses en français dans le texte. Kant en personne les a recensées : esprit, frivolité, galanterie, petit-maître, coquette, étourderie, point d’honneur, bon ton, bon mot, etc. Essayez de traduire la tirade de Cyrano [1]. Non pas que nous manquions de grands mots, et si nos lois sont rédigées comme des théorèmes, on les orne volontiers de considérants pompeux. Point trop n’en faut toutefois car, à la différence des Italiens, nous sommes portés à y croire.

Une autre raison de privilégier l’écrivain français est que son métier consiste, en principe, à conter des histoires, dont nous sommes les héros, que nous inspirons et qui nous inspirent. De Vercingétorix à de Gaulle en passant par Jeanne d’Arc et tant d’autres, ils ont un air de famille, le petit côté mousquetaire justement…

En graphosphère, enfin, où le livre est le principal vecteur de la transmission des vertus nationales, l’écrivain est commenté, enseigné à l’école, imité, honoré… Il tient toute sa place dans notre culte des ancêtres, comme le confirme une visite au Panthéon.

Ajoutons que dans un pays où écrivain régional est synonyme d’écrivain mineur (ce n’est pas le cas en Italie, par exemple) et provincial un terme péjoratif, il n’est pas d’autre consécration que « nationale ». Il n’est de bon bec que de Paris (Villon), ni de belle plume. Mieux : chez nous les écrivains nationaux vont par paires : Descartes et Pascal, Corneille et Racine, Bossuet et Fénelon (ou Bourdaloue), Voltaire et Rousseau, Lamartine et Hugo, Stendhal et Chateaubriand (ou Balzac si vous préférez), Péguy et Barrès, Sartre et Camus… Esprit de géométrie ou esprit de finesse ? Les deux ! Pascal équilibre Descartes et Tartuffe le Misanthrope. Avec ces frères ennemis, au moins on reste en famille.

Suivant les conseils d’un connaisseur, Paul Valéry, on élira un autre couple moins convenu : « revenir soit à Stendhal soit à Descartes, car il n’y a guère de milieu possible. » Bien vu. À condition de ne pas opposer ces deux-là (la raison contre le sentiment) mais plutôt de découvrir ce qu’ils ont en commun avec tant de leurs confrères.

Et moi, et moi, et moi…

Michel Crouzet intitule sa biographie Stendhal ou Monsieur Moi-même (une précédente édition : M. Myself ou la vie de Stendhal). Le discours de la méthode de « celui qui fit de l’entreprise d’être soi un héroïsme », c’est l’égotisme, le beylisme, une « méthode pratique de bonheur ». Il faut être français pour oser ça.

Selon Elie Faure [2], « La vanité et la crainte du ridicule sont les traits les plus saillants du caractère français. C’est étrange, à coup sûr, la vanité étant neuf fois sur dix, la source du ridicule ». Vanité, « cette captivité dont nous sommes à la fois les geôliers et les détenus » dit joliment pour sa part Paul Ricœur.

Côté littérature, c’est un leit motiv. Molière, sous les figures du médecin, du bourgeois ou du cocu, croque le vaniteux. La lecture des moraliste français montre que du moins ce travers est bien connu des intéressés.

D’où le goût des hochets ? L’honneur dégénère au pluriel. Nos écrivains en sont tellement obsédés qu’ils ont inventé une manière superlative de les obtenir en faisant savoir qu’ils les refusent. Ne pas être candidat à l’Académie, c’est la classe ! Ça vous distingue des fayots qui arborent leurs médailles. D’où peut-être aussi la récurrence du jeu, jeux de l’amour et du hasard, et de la politique, jeux innocents et jeux pervers (ceux des liaisons dangereuses, par exemple) jeux de concepts et jeux de mots.

Descartes et les hussards

Ah ! Descartes, « ce mortel dont on eût fait un dieu chez les païens » (La Fontaine), « ce cavalier français qui partit d’un si bon pas » (Péguy) ! Serait-ce pour qualifier des manières, assez cavalières en effet, avec tous ceux qui se sont avisés de penser avant lui ? À la hussarde – on sait que le terme finira par désigner en France une bande de spadassins littéraires importunés par la descente de brumes germaniques sur Saint-Germain-des-Prés. Curieusement, hussard convient aussi bien au principal objet de leur ressentiment, un certain Jean-Paul Sartre, rhéteur et bretteur itou. Richelieu n’a pas éradiqué la tradition du duel : elle persiste, verbalisée, entre gensdelettres et jusque dans le débat de second tour de l’élection présidentielle.

Les Trois Mousquetaires, roman intégralement français, n’en déplaise aux amateurs de littérature « exigeante », qu’on renverra au jugement d’un Académicien : « C’est un grand mythe pour la jeunesse d’un pays », « le mythe de l’amitié entre les hommes qui, sous le double sceau de la loyauté et du courage, deviennent invincibles… »

Bien que nobles tous les trois, ils incarnent les trois états. Athos, membre de plusieurs ordres de chevalerie : l’aristocratie, nécessairement mélancolique sous Richelieu ; Porthos, costaud, fidèle et droit, mais glouton et vaniteux : le peuple ; Aramis, pris entre le Rouge et le Noir deux siècles avant Julien Sorel, séducteur et comploteur : le clergé (il finit général des Jésuites). Et d’Artagnan, synthèse des trois devenus quatre, après le rite d’adoption fraternelle, il prend le meilleur de chacun. Pris dans des jeux politiques qui les dépassent, pendant la « cohabitation » du roi avec Richelieu, qui apparaît comme un Italien machiavélique avant Mazarin ; Anne d’Autriche en Dame des romans de chevalerie ; Milady en femme fatale ; et Bonacieux, le petit bourgeois, parfait négatif de nos héros : pleutre, âpre au gain et jaloux. Stendhal est plus brutal : « J’abhorre la canaille, en même temps que, sous le nom de peuple je désire passionnément son bonheur. » (…) « J’aime le peuple, je déteste ses oppresseurs ; mais ce serait pour moi un supplice de tous les instants que de vivre avec le peuple. »

Retenons plutôt la parfaite devise composée par Dumas : « Un pour tous ! Tous pour un ! ».

Notes

[1D’aucuns l’ont tenté. Le résultat, en anglais par exemple, est désopilant, et Rostand n’y est pour rien

[2Elie Faure, Découverte de l’Archipel, « L’âme française ou la mesure de l’espace ». Seuil « l’école des lettres », 1995, p. 85. La première édition date de 1932, dans La Nouvelle revue critique. Noté dans la suite EF, suivi du numéro de page.


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